Sixto Rodriguez
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Sixto Rodriguez
Sujet sans doute abordé quelque part ici, de ce songwriter passé aux oubliettes de la gloire, sur un topic cinéma peut être, mais il mérite son propre topic. Vu hier soir ce qui passe désormais pour le phénomène, 2 "Zenith" pleins en vue sur Paris, tournée mondiale, "Searching for Sugar man"...qui est riche en émotion simple, quelle histoire mazette ! Superbe, une claque.
Dernière édition par Brewster le Jeu 9 Mai 2013 - 9:07, édité 1 fois
Brewster- Messages : 294
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Album préféré : The Wild, The Innocent And The E Street Shuffle
Re: Sixto Rodriguez
zut, moi qui pensais lire des cochonneries avec ce titre évocateur !
santig du- Messages : 288
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Re: Sixto Rodriguez
Ce film est tout bonnement fantastique, je ne décroche plus des deux albums du monsieur depuis que je l'ai vu...
A voir absolument
Yann
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Yann42- Messages : 137
Date d'inscription : 19/06/2011
Re: Sixto Rodriguez
santig du a écrit:zut, moi qui pensais lire des cochonneries avec ce titre évocateur !
Moi j'ai cru qu'Yves allait parlé du grand navigateur mais j'ai confondu avec Sextant De La Vega qui a découvert le Brésil avec son fidèle destrier Ronaldo...
JC- Messages : 2933
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Localisation : Quelquepart entre Woodstock, Asbury Park, Haight Ashbury, Detroit, Muscle Shoals & Memphis...
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Re: Sixto Rodriguez
Plus sérieusement j'ai vu un petit docu sur lui dans Tracks en début de mois, c'est assez énigmatique tout de même que ça remplisse la Cigale et deux Zénith !!! Je vais me laisser tenter par le film, et sans doute ses deux albums seventies car du peu que j'en ai vu dans Tracks me donne vachement envie. Cependant je suis assez étonné d'un tel engouement alors qu'aujourd'hui il est si difficile de remplir des salles à Paris.
JC- Messages : 2933
Date d'inscription : 14/06/2011
Age : 51
Localisation : Quelquepart entre Woodstock, Asbury Park, Haight Ashbury, Detroit, Muscle Shoals & Memphis...
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Re: Sixto Rodriguez
J'ai découvert la BO récemment, gros choc (ça en fait deux avec Bill Fay cette année pour moi)!
C'est juste invraisemblable que de tels talents soient restés dans l'ombre aussi longtemps.
Je ne connais pas encore le film Searching for Sugarman mais dès qu'il sort en dvd ou blu ray, je fonce!
C'est juste invraisemblable que de tels talents soient restés dans l'ombre aussi longtemps.
Je ne connais pas encore le film Searching for Sugarman mais dès qu'il sort en dvd ou blu ray, je fonce!
Re: Sixto Rodriguez
il s'agit de Sixto Rodriguez pas sexto :-)
Yann42- Messages : 137
Date d'inscription : 19/06/2011
Article sur la 'carrière' du film.
JC a écrit:Plus sérieusement j'ai vu un petit docu sur lui dans Tracks en début de mois, c'est assez énigmatique tout de même que ça remplisse la Cigale et deux Zénith !!! Je vais me laisser tenter par le film, et sans doute ses deux albums seventies car du peu que j'en ai vu dans Tracks me donne vachement envie. Cependant je suis assez étonné d'un tel engouement alors qu'aujourd'hui il est si difficile de remplir des salles à Paris.
Ca n'est pas le seul film évidemment à avoir connu ce type de parcours 'clé en main'. Mais ça fait partie de son histoire.
Le Monde - 9 avril 2013
"Au téléphone, la mélodie lancinante de Sugar Man est devenue la musique d'attente du distributeur du documentaire de Malik Bendjelloul, ARP Sélection. Comme un clin d'oeil au succès inespéré du film du même nom, Sugar Man, qui entame ce mercredi 3 avril sa quinzième semaine en salles. Sorti le 26 décembre 2012, Sugar Man continue son bonhomme de chemin, sur soixante-dix écrans actuellement. Un petit miracle, à l'image du héros du film : le compositeur et chanteur Sixto Rodriguez marche à petits pas dans la neige, évitant la chute qui semble pourtant le guetter...
Le retentissement de ce documentaire, sur un artiste inconnu du grand public il y a encore quelques mois, intrigue autant que le personnage de Sixto Rodriguez, artiste plutôt maudit mais jamais aigri. Chargé de l'exploitation du film, Renaud Davy livre le « bulletin météo » des derniers jours. Un vent de force 6 vient de souffler, avec crête d'écume... « Le pic de diffusion a été atteint la semaine dernière, avec 75 copies. On va franchir le cap des 130 000 entrées. » Depuis trois mois, le film a presque toujours figuré dans le « top 30 », ajoute-t-il.
Une recette, ou plutôt une stratégie marketing, explique aussi ce fabuleux destin. Derrière Sugar Man, il y a un salesman averti, Laurent Pétin, et une découvreuse avisée, Michèle Halberstadt. Tous deux sont confondateurs de l'ARP. Elle a déniché le film, il a trouvé la formule pour rendre l'objet irrésistible : en faire une denrée rare, d'abord réservé aux happy few, fins connaisseurs de musiques rares. Laisser agir, puis répandre en cascade sur un plus large public. Champagne ! « C'est ce que l'on appelle aux Etats-Unis la «platform release». On sort le film dans un nombre restreint de salles pour susciter le désir. Ensuite, on élargit la focale. D'un opus branché, on est passés à une oeuvre populaire, que le grand public veut voir par curiosité », explique Michèle Halberstadt.
Aux Etats-Unis, le film a d'abord sillonné le territoire au printemps 2012, et fait une halte au Tribeca Film Festival de New York, où il a fait sensation. La rumeur était lancée. Fin juillet 2012, le film est sorti dans deux salles à New York, dans une salle à Los Angeles, et dans une autre à San Francisco. En France, le film a élu domicile dans trois lieux emblématiques, deux à Paris - le Saint-Germain-des-Prés et l'UGC Ciné-Cité des Halles - et une à Lyon, le Comoedia. « Au départ, on avait aussi approché le Balzac, sur les Champs-Elysées. Mais Tabou de Miguel Gomes marchait tellement bien que c'est tombé à l'eau », précise la distributrice. « Je suis heureux pour le film et malheureux pour nous ! », sourit Jean-Jacques Schpoliansky, du Balzac. Il ne prendra pas le film « en cours de carrière », dit-il : « Nous n'avons que trois salles, et cela reviendrait à léser un autre film. »
Sugar Man aurait pu se heurter au casse-tête du film d'auteur, qui sort trop vite de l'affiche faute de public, ou du fait de l'arrivage hebdomadaire d'une quinzaine de nouveaux venus. Mais il a démenti les pronostics. Le plan a marché.
Janvier 2012 : Michèle Halberstadt s'apprête à plonger dans les salles obscures de Sundance, festival américain de films indépendants. Sugar Man ouvre la section « Documentaires ». Le film a un vendeur pour les Etats-Unis, et un autre pour « le reste du monde ». C'est ce dernier qui lui met la puce à l'oreille. « Il m'a dit : ce film-là, tu dois le voir absolument », raconte Michèle Halberstadt, qui vient elle-même du secteur de la musique. Le premier quart d'heure, elle croit que c'est un « hoax », un canular. Ce chanteur dont tout le monde cherche la trace, adulé en Afrique du Sud mais ignoré aux Etats-Unis, existe-t-il vraiment ? « Puis Sixto Rodriguez est apparu. Et j'ai accroché », dit-elle. Pendant la séance, elle a l'impression d'avoir déjà entendu la musique. Et finit par se souvenir : « L'un des titres figurait dans la bande originale du film de Guillaume Canet, Les Petits Mouchoirs (2010) ». Le lendemain, la distributrice fait une offre d'achat, qui sera signée « dans la semaine ».
De retour en France, elle fait voir le film à Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes. « Il a adoré. Mais il ne pouvait pas le programmer. Sugar Man est un film européen qui est sorti de son territoire et, de ce fait, il n'était plus possible de le montrer dans un festival de catégorie A. »
Cap sur Deauville : en septembre 2012, le Festival du cinéma américain accueille le film à bras ouverts. Le bouche-à-oreille commence à fonctionner. Mais comment trouver le meilleur chemin pour arriver en salles ? Laurent Pétin propose de commencer par un événement : ce sera une projection VIP, le 20 novembre 2012, dans la salle parisienne du Max Linder. Le jour venu, c'est plein à craquer. « On a fait venir tous les gens fous de Sixto Rodriguez, ou impatients de connaître l'histoire. Des critiques musicaux qui avaient adoré le film avaient fait passer le message. Il y avait Jacques Audiard, Marion Cotillard, Louis Bertignac. Léa Seydoux a téléphoné et nous a demandé : «Je peux venir ?» » A la fin de la projection, surprise : « Please welcome Sixto Rodriguez ! » Le chanteur donne un « show case », un petit concert.
La suite est connue. Deux semaines après la sortie nationale, quelques grandes villes ont pu avoir « the film ». Bordeaux, Rennes, Nancy, le 9 janvier, puis Marseille et Grenoble, le 16 janvier. L'exposition en salles augmente à l'approche de la cérémonie des Oscars. Le 25 février, Sugar Man remporte celui du meilleur documentaire. La fréquentation progresse encore...
A Rennes, le cocktail a particulièrement bien fonctionné. « Sixto Rodriguez était venu aux Transmusicales, il y a quelques années. La ville compte aussi beaucoup de documentaristes, qui ont joué le rôle de passeurs. On a eu un public jeune, et maintenant on voit des seniors dans les files d'attente », raconte Jacques Fretel, programmateur à l'Arvor, ainsi qu'au ciné-TNB de Rennes. Il ajoute : « Sortir un film dans deux salles, dans un premier temps, c'est kamikaze ! Mais ça a marché, alors que la fréquentation est plutôt à la baisse, partout, depuis début 2013. Les lieux Art & Essai sont précaires, mais quand on a un phénomène comme Sugar Man, on se dit qu'on a raison d'être là... ».
Il va falloir « tenir » en salles jusqu'à fin mai, explique Renaud Davy : le 21 mai sera la date de sortie du DVD, avec un bonus contenant la fameuse prestation de Sixto Rodriguez au Max Linder. Un teaser avant les concerts « pour de vrai » : la désormais star sera au Zénith les 3 et 4 juin, et à la Cigale le 5 juin. Puis les 7 et 8 juin, au Hammersmith Apollo à Londres. Avant d'enchaîner les festivals d'été, à Montreux, à Vienne...
En attendant, on peut écouter la BO - bande originale - du film, essentiellement une compilation d'extraits des deux albums sortis chez Sussex Records, Cold Fact (1970) et Coming From Reality (1971). Pour 25 000 exemplaires mis dans les bacs, plus de 15 000 auraient été vendus à la fin mars. Un chiffre qui peut évoluer, le CD étant à présent soldé à 10 euros. A cela s'ajoutent, à la même période, près de 5 000 téléchargements de l'album entier sur la boutique en ligne iTunes Store (Apple). Cela dit, lors de la réédition, en 2008, des deux albums (chez Light in The Attic Records), 7 000 exemplaires de chaque avaient déjà été écoulés en France. Signe que Sixto Rodriguez n'était déjà pas tout à fait un inconnu.
Clarisse Fabre et Sylvain Siclier"
Invité- Invité
Une chronique
Un « storytelling » soigneusement agencé
Article paru dans l'édition du 09.04.13
"Quand la légende devient un fait, publiez la légende » , conseillait le journaliste de L'Homme qui tua Liberty Valance (1962), l'avant-dernier western de John Ford. Cette leçon, Malik Bendjelloul l'a appliquée à la lettre dans Sugar Man, le documentaire qu'il a consacré au chanteur américain Sixto Rodriguez. En bon fabuliste, le cinéaste a finement sélectionné les informations qui servaient son « scénario » : celui d'un perdant magnifique, Rodriguez, retiré de l'industrie musicale faute de succès, découvrant sur le tard l'incroyable popularité de ses chansons dans l'Afrique du Sud de l'apartheid.
Le réalisateur suédois a pris soin d'omettre, en revanche, tout élément brouillant la limpidité de ce beau conte de Noël. Nulle mention, ainsi, des bonnes ventes dans les années 1970 de Rodriguez en Australie et en Nouvelle-Zélande, aboutissant à deux tournées océaniennes du musicien, l'une en 1979 avec The Mark Gillespie Band, l'autre en 1981 avec Midnight Oil. Pas un mot non plus sur la fortune de Silver Words, extrait du deuxième album de Rodriguez, devenu un tube en Jamaïque en 1974 dans une version reggae chantée par Ken Boothe. Même silence à propos du sample de la chanson Sugar Man, en 2001, par le rappeur Nas sur son morceau You're Da Man. Sixto Rodriguez aurait-il trouvé un écho, même tardif, même relatif, ailleurs qu'en Afrique du Sud ? Le film ne le dit guère.
Plus largement, peu d'efforts, dans Sugar Man, sont faits pour contextualiser sa musique. Hormis une timide comparaison à Bob Dylan, ses chansons échappent à toute généalogie, à toute causalité, comme jaillies par génération spontanée. Peu importe que son père lui ait fait écouter, enfant, des disques de blues. Accessoire est l'admiration qu'il portait au mouvement hippie et à ses émanations les plus folk, de Richie Havens à Donovan, dont les arrangements luxuriants et le phrasé nasillard semblent pourtant avoir irrigué ses deux magnifiques albums, Cold Fact (1970) et Coming From Reality (1971).
Malik Bendjelloul aura beau jeu de se réfugier derrière le mutisme de son personnage, peu disert devant la caméra : c'est bien connu, les voies de la création sont impénétrables, et aucun documentaire ne saurait décemment les expliciter. Il n'empêche. En préférant, à la complexité et à l'exactitude historiques, les ressorts d'un storytelling rodé depuis Mathusalem - la grâce, le calvaire, la résurrection -, le cinéaste en dit long sur ce que notre époque est encline à croire et à entendre. Car si l'impressionnant succès de son documentaire témoigne d'une chose, c'est bien de notre inaltérable soif de mythologies. En ces temps de crise, artistes, offrez-nous de quoi rêver un peu ; à l'heure où la Toile jette sur le réel des fils toujours plus transparents, saltimbanques, drapez-vous d'un soyeux voile de mystère, de quoi entretenir l'illusion.
Rhétorique du clair-obscur
On le sait, tout simulacre est affaire d'absence - plus ou moins prolongée, plus ou moins manigancée. Il fut un temps où cet art délicat de la disparition était l'apanage des écrivains : souvenez-nous, J.D. Salinger et Thomas Pynchon, stars secrètes des belles lettres, Maurice Blanchot théorisant l'effacement comme principe consubstantiel à l'acte d'écriture.
Puis vint le temps des cinéastes reclus, avares de leurs bobines comme de leur parole, Stanley Kubrick, Terrence Malick, Leos Carax : plus longue était l'attente précédant leur nouveau film, plus leur oracle était reçu avec dévotion. Longtemps régie par une logique de visibilité et de productivité à tous crins, scandée par l'immuable triptyque album-promo-tournée, la musique populaire se plie désormais massivement à cette rhétorique du clair-obscur.
En la matière, les derniers mois furent éloquents. Bish Bosch, troisième album de Scott Walker en trente ans, est sacré disque de 2012 par certains de nos plus sérieux confrères. David Bowie sort d'une retraite de dix ans avec un album et une exposition triomphaux. Après vingt-deux ans de silence, le groupe irlandais My Bloody Valentine vend, en un jour, 30 000 vinyles de son troisième album, m b v. Justin Timberlake rompt sept ans d'abstinence discographique avec The 20/20 Experience, dont il écoule un million d'exemplaires en moins d'une semaine. Les jeunes lions de Fauve et les vieux loups de Daft Punk affolent gazettes et gazouilleurs en distillant au compte-gouttes nouveaux morceaux et apparitions masquées...
Autrement dit, plus question de goûter au succès sans avoir traversé son lot de déserts : ce n'est pas une légende, mais un fait, un « cold fact », comme le chantera Sixto Rodriguez, en juin, au Zénith de Paris.
Aureliano Tonet"
Article paru dans l'édition du 09.04.13
"Quand la légende devient un fait, publiez la légende » , conseillait le journaliste de L'Homme qui tua Liberty Valance (1962), l'avant-dernier western de John Ford. Cette leçon, Malik Bendjelloul l'a appliquée à la lettre dans Sugar Man, le documentaire qu'il a consacré au chanteur américain Sixto Rodriguez. En bon fabuliste, le cinéaste a finement sélectionné les informations qui servaient son « scénario » : celui d'un perdant magnifique, Rodriguez, retiré de l'industrie musicale faute de succès, découvrant sur le tard l'incroyable popularité de ses chansons dans l'Afrique du Sud de l'apartheid.
Le réalisateur suédois a pris soin d'omettre, en revanche, tout élément brouillant la limpidité de ce beau conte de Noël. Nulle mention, ainsi, des bonnes ventes dans les années 1970 de Rodriguez en Australie et en Nouvelle-Zélande, aboutissant à deux tournées océaniennes du musicien, l'une en 1979 avec The Mark Gillespie Band, l'autre en 1981 avec Midnight Oil. Pas un mot non plus sur la fortune de Silver Words, extrait du deuxième album de Rodriguez, devenu un tube en Jamaïque en 1974 dans une version reggae chantée par Ken Boothe. Même silence à propos du sample de la chanson Sugar Man, en 2001, par le rappeur Nas sur son morceau You're Da Man. Sixto Rodriguez aurait-il trouvé un écho, même tardif, même relatif, ailleurs qu'en Afrique du Sud ? Le film ne le dit guère.
Plus largement, peu d'efforts, dans Sugar Man, sont faits pour contextualiser sa musique. Hormis une timide comparaison à Bob Dylan, ses chansons échappent à toute généalogie, à toute causalité, comme jaillies par génération spontanée. Peu importe que son père lui ait fait écouter, enfant, des disques de blues. Accessoire est l'admiration qu'il portait au mouvement hippie et à ses émanations les plus folk, de Richie Havens à Donovan, dont les arrangements luxuriants et le phrasé nasillard semblent pourtant avoir irrigué ses deux magnifiques albums, Cold Fact (1970) et Coming From Reality (1971).
Malik Bendjelloul aura beau jeu de se réfugier derrière le mutisme de son personnage, peu disert devant la caméra : c'est bien connu, les voies de la création sont impénétrables, et aucun documentaire ne saurait décemment les expliciter. Il n'empêche. En préférant, à la complexité et à l'exactitude historiques, les ressorts d'un storytelling rodé depuis Mathusalem - la grâce, le calvaire, la résurrection -, le cinéaste en dit long sur ce que notre époque est encline à croire et à entendre. Car si l'impressionnant succès de son documentaire témoigne d'une chose, c'est bien de notre inaltérable soif de mythologies. En ces temps de crise, artistes, offrez-nous de quoi rêver un peu ; à l'heure où la Toile jette sur le réel des fils toujours plus transparents, saltimbanques, drapez-vous d'un soyeux voile de mystère, de quoi entretenir l'illusion.
Rhétorique du clair-obscur
On le sait, tout simulacre est affaire d'absence - plus ou moins prolongée, plus ou moins manigancée. Il fut un temps où cet art délicat de la disparition était l'apanage des écrivains : souvenez-nous, J.D. Salinger et Thomas Pynchon, stars secrètes des belles lettres, Maurice Blanchot théorisant l'effacement comme principe consubstantiel à l'acte d'écriture.
Puis vint le temps des cinéastes reclus, avares de leurs bobines comme de leur parole, Stanley Kubrick, Terrence Malick, Leos Carax : plus longue était l'attente précédant leur nouveau film, plus leur oracle était reçu avec dévotion. Longtemps régie par une logique de visibilité et de productivité à tous crins, scandée par l'immuable triptyque album-promo-tournée, la musique populaire se plie désormais massivement à cette rhétorique du clair-obscur.
En la matière, les derniers mois furent éloquents. Bish Bosch, troisième album de Scott Walker en trente ans, est sacré disque de 2012 par certains de nos plus sérieux confrères. David Bowie sort d'une retraite de dix ans avec un album et une exposition triomphaux. Après vingt-deux ans de silence, le groupe irlandais My Bloody Valentine vend, en un jour, 30 000 vinyles de son troisième album, m b v. Justin Timberlake rompt sept ans d'abstinence discographique avec The 20/20 Experience, dont il écoule un million d'exemplaires en moins d'une semaine. Les jeunes lions de Fauve et les vieux loups de Daft Punk affolent gazettes et gazouilleurs en distillant au compte-gouttes nouveaux morceaux et apparitions masquées...
Autrement dit, plus question de goûter au succès sans avoir traversé son lot de déserts : ce n'est pas une légende, mais un fait, un « cold fact », comme le chantera Sixto Rodriguez, en juin, au Zénith de Paris.
Aureliano Tonet"
Invité- Invité
Re: Sixto Rodriguez
JC a écrit:Plus sérieusement j'ai vu un petit docu sur lui dans Tracks en début de mois, c'est assez énigmatique tout de même que ça remplisse la Cigale et deux Zénith !!! Je vais me laisser tenter par le film, et sans doute ses deux albums seventies car du peu que j'en ai vu dans Tracks me donne vachement envie. Cependant je suis assez étonné d'un tel engouement alors qu'aujourd'hui il est si difficile de remplir des salles à Paris.
JC, il a, en plus, un très bon attaché de presse ))
Re: Sixto Rodriguez
theo a écrit:Un « storytelling » soigneusement agencé
Article paru dans l'édition du 09.04.13
"Quand la légende devient un fait, publiez la légende » , conseillait le journaliste de L'Homme qui tua Liberty Valance (1962), l'avant-dernier western de John Ford. Cette leçon, Malik Bendjelloul l'a appliquée à la lettre dans Sugar Man, le documentaire qu'il a consacré au chanteur américain Sixto Rodriguez. En bon fabuliste, le cinéaste a finement sélectionné les informations qui servaient son « scénario » : celui d'un perdant magnifique, Rodriguez, retiré de l'industrie musicale faute de succès, découvrant sur le tard l'incroyable popularité de ses chansons dans l'Afrique du Sud de l'apartheid.
Le réalisateur suédois a pris soin d'omettre, en revanche, tout élément brouillant la limpidité de ce beau conte de Noël. Nulle mention, ainsi, des bonnes ventes dans les années 1970 de Rodriguez en Australie et en Nouvelle-Zélande, aboutissant à deux tournées océaniennes du musicien, l'une en 1979 avec The Mark Gillespie Band, l'autre en 1981 avec Midnight Oil. Pas un mot non plus sur la fortune de Silver Words, extrait du deuxième album de Rodriguez, devenu un tube en Jamaïque en 1974 dans une version reggae chantée par Ken Boothe. Même silence à propos du sample de la chanson Sugar Man, en 2001, par le rappeur Nas sur son morceau You're Da Man. Sixto Rodriguez aurait-il trouvé un écho, même tardif, même relatif, ailleurs qu'en Afrique du Sud ? Le film ne le dit guère.
Plus largement, peu d'efforts, dans Sugar Man, sont faits pour contextualiser sa musique. Hormis une timide comparaison à Bob Dylan, ses chansons échappent à toute généalogie, à toute causalité, comme jaillies par génération spontanée. Peu importe que son père lui ait fait écouter, enfant, des disques de blues. Accessoire est l'admiration qu'il portait au mouvement hippie et à ses émanations les plus folk, de Richie Havens à Donovan, dont les arrangements luxuriants et le phrasé nasillard semblent pourtant avoir irrigué ses deux magnifiques albums, Cold Fact (1970) et Coming From Reality (1971).
Malik Bendjelloul aura beau jeu de se réfugier derrière le mutisme de son personnage, peu disert devant la caméra : c'est bien connu, les voies de la création sont impénétrables, et aucun documentaire ne saurait décemment les expliciter. Il n'empêche. En préférant, à la complexité et à l'exactitude historiques, les ressorts d'un storytelling rodé depuis Mathusalem - la grâce, le calvaire, la résurrection -, le cinéaste en dit long sur ce que notre époque est encline à croire et à entendre. Car si l'impressionnant succès de son documentaire témoigne d'une chose, c'est bien de notre inaltérable soif de mythologies. En ces temps de crise, artistes, offrez-nous de quoi rêver un peu ; à l'heure où la Toile jette sur le réel des fils toujours plus transparents, saltimbanques, drapez-vous d'un soyeux voile de mystère, de quoi entretenir l'illusion.
Rhétorique du clair-obscur
On le sait, tout simulacre est affaire d'absence - plus ou moins prolongée, plus ou moins manigancée. Il fut un temps où cet art délicat de la disparition était l'apanage des écrivains : souvenez-nous, J.D. Salinger et Thomas Pynchon, stars secrètes des belles lettres, Maurice Blanchot théorisant l'effacement comme principe consubstantiel à l'acte d'écriture.
Puis vint le temps des cinéastes reclus, avares de leurs bobines comme de leur parole, Stanley Kubrick, Terrence Malick, Leos Carax : plus longue était l'attente précédant leur nouveau film, plus leur oracle était reçu avec dévotion. Longtemps régie par une logique de visibilité et de productivité à tous crins, scandée par l'immuable triptyque album-promo-tournée, la musique populaire se plie désormais massivement à cette rhétorique du clair-obscur.
En la matière, les derniers mois furent éloquents. Bish Bosch, troisième album de Scott Walker en trente ans, est sacré disque de 2012 par certains de nos plus sérieux confrères. David Bowie sort d'une retraite de dix ans avec un album et une exposition triomphaux. Après vingt-deux ans de silence, le groupe irlandais My Bloody Valentine vend, en un jour, 30 000 vinyles de son troisième album, m b v. Justin Timberlake rompt sept ans d'abstinence discographique avec The 20/20 Experience, dont il écoule un million d'exemplaires en moins d'une semaine. Les jeunes lions de Fauve et les vieux loups de Daft Punk affolent gazettes et gazouilleurs en distillant au compte-gouttes nouveaux morceaux et apparitions masquées...
Autrement dit, plus question de goûter au succès sans avoir traversé son lot de déserts : ce n'est pas une légende, mais un fait, un « cold fact », comme le chantera Sixto Rodriguez, en juin, au Zénith de Paris.
Aureliano Tonet"
Article également paru dans le Monde si j'ai bien compris?
Intéressant, et troublant sans doute mais tout ça n'explique pas pourquoi ce type est resté dans l'ombre si longtemps (même s'il a fait quelques tournées par ci par là)?
j'avais de mon côté seulement entendu que le principal reproche fait au film était d'occulter le problème des droits d'auteur de Rodriguez.
Malik Bendjelloul aurait donc embrouillé tout le monde ?
Dans ce cas, ça pose de sérieuses questions sur l'état du journalisme en France et dans le monde (sans jeu de mots), prompts à se laisser embarquer par quelques attachés de presse un peu compétents...
Et je trouve ça un peu léger de sous entendre que le silence de Bowie, de My Bloody Valentine ou d'autres n'est qu'affaire de marketing. Raccourci journalistique et distorsion de la réalité un peu gênante et paradoxale par rapport à ce que l'auteur met en cause dans son article.
Re: Sixto Rodriguez
Le docu est suédois et le réalisateur a choisi un angle lié au phénomène que représentait certaines chansons de SR lors de l'apartheid en AdS
Formidable angle de vue quand au fait que malgré les censures et le fait que le disque n'ait jamais marché a l'époque aux us ou ailleurs, ce disque ait existé pour un cercle vivant de personnes en lutte pour leur droits, si loin de Detroit, et de manière spontannée.
Belle histoire donc beau docu.
Et puis arrivent des questions qui accompagnent cette histoire, qui apparaissent dans le film mais que le réalisateur a choisi de ne pas développer.
C'est son film et il n'est pas journaliste d'investigation.
Le film n'est pas présenté comme un docu vérité, mais comme l'histoire d'un groupe d'individus nourris par une chanson autour de laquelle un mythe s'est crée.
Et le mythe, la légende, laisse place à une réalité aussi belle que la légende.
En tous les cas du point de vue du film.
Je ne connais pas les raisons de l'échec des deux albums a l'époque, si ce n'est que des artistes et des albums mythiques oubliés il y en a eu des tonnes mais que ceux qui ont connu une deuxième vie sont plus rare.
L'odeur de l'époque manque et du coup les explications "rationnelles" également.
Le type est ce qu'il est, simple, charmant, détaché du succès.
Du moins de manière apparante, et il est clair que des sous lui ont échappé, mais personne ne pourra se mettre à la place du principal concerné, qui au fond de lui sait ce qu'il a fait ou non a l'époque.
A titre perso il m'est arrivé de vivre des experiences pro avec des musiciens dont l'attitude a fait que le projet est parti droit dans le mur.
Il m'est arrivé de croiser a nouveau le musicien en question quelques années plus tard et l'entendre regretter sa manière d'avoir fait échouer le truc.
Comme la peur de gagner en sport, la peur de la lumière et du succès peut exister pour l'artiste.
Et peut être qu'un journaliste va exhumer l'histoire un jour et poser des questions que personne ne se posait en temps réel a l'époque ou j'ai fait ma prod?
En tous cas, j'ai vu le film avec mon papa qui a adoré.
Et j'ai adoré partager ce moment avec l'amoureux de musique et de belles histoires qu'il est.
Formidable angle de vue quand au fait que malgré les censures et le fait que le disque n'ait jamais marché a l'époque aux us ou ailleurs, ce disque ait existé pour un cercle vivant de personnes en lutte pour leur droits, si loin de Detroit, et de manière spontannée.
Belle histoire donc beau docu.
Et puis arrivent des questions qui accompagnent cette histoire, qui apparaissent dans le film mais que le réalisateur a choisi de ne pas développer.
C'est son film et il n'est pas journaliste d'investigation.
Le film n'est pas présenté comme un docu vérité, mais comme l'histoire d'un groupe d'individus nourris par une chanson autour de laquelle un mythe s'est crée.
Et le mythe, la légende, laisse place à une réalité aussi belle que la légende.
En tous les cas du point de vue du film.
Je ne connais pas les raisons de l'échec des deux albums a l'époque, si ce n'est que des artistes et des albums mythiques oubliés il y en a eu des tonnes mais que ceux qui ont connu une deuxième vie sont plus rare.
L'odeur de l'époque manque et du coup les explications "rationnelles" également.
Le type est ce qu'il est, simple, charmant, détaché du succès.
Du moins de manière apparante, et il est clair que des sous lui ont échappé, mais personne ne pourra se mettre à la place du principal concerné, qui au fond de lui sait ce qu'il a fait ou non a l'époque.
A titre perso il m'est arrivé de vivre des experiences pro avec des musiciens dont l'attitude a fait que le projet est parti droit dans le mur.
Il m'est arrivé de croiser a nouveau le musicien en question quelques années plus tard et l'entendre regretter sa manière d'avoir fait échouer le truc.
Comme la peur de gagner en sport, la peur de la lumière et du succès peut exister pour l'artiste.
Et peut être qu'un journaliste va exhumer l'histoire un jour et poser des questions que personne ne se posait en temps réel a l'époque ou j'ai fait ma prod?
En tous cas, j'ai vu le film avec mon papa qui a adoré.
Et j'ai adoré partager ce moment avec l'amoureux de musique et de belles histoires qu'il est.
CC Rider- Messages : 6876
Date d'inscription : 14/06/2011
Age : 104
Re: Sixto Rodriguez
Une chronique moins pointue du même film.
Paru dans "Marianne", elle ne parle que du plaisir simple et de l'optimisme que l'on peut ressentir à la vision de ce film (conte?)
Paru dans "Marianne", elle ne parle que du plaisir simple et de l'optimisme que l'on peut ressentir à la vision de ce film (conte?)
Ce n'est pas pour me vanter, mais je suis allé à Metz. Quand je suis parti de Paris, tôt le matin, il faisait beau et chaud. Quand je suis arrivé à Metz, une heure et demie plus tard, il faisait gris et froid. C'est dingue. D'un autre côté, il ne pleuvait pas. A écouter les gens de Metz, c'était la première fois depuis la nuit des temps. Alors, même s'il faisait gris et froid, ils étaient contents. Comme ils étaient contents, je n'allais pas leur casser le moral en leur disant qu'il faisait beau à Paris. J'ai drôlement bien fait, notez bien, vu que l'après-midi il s'est mis à faire beau et chaud à Metz. Et, quand je suis rentré à Paris, le soir, il pleuvait. C'est dingue. Une heure et demie de train, je vous le rappelle, dans un sens comme dans l'autre. Et le temps qui change comme si on changeait de continent. En tout cas, le temps de Metz a rendu les gens de Metz philosophes. Une Messine (ainsi s'appellent les habitantes de Metz) m'a dit, texto : «A Metz, il fait froid deux fois dans l'année : en juillet et en août, quand on coupe le chauffage.» Ça m'a rappelé ce qu'on disait chez moi, dans mon petit village perché au-dessus de la baie du Mont-Saint-Michel : «Quand on voit le Mont-Saint-Michel, c'est qu'il va pleuvoir. Quand on ne le voit pas, c'est qu'il pleut.»
Sinon, je n'ai pas eu le temps de voir grand-chose à Metz, à part le grand chapiteau rempli d'une flopée d'écrivains et de journalistes, tous réunis pour un salon du livre. Il faudra que j'y revienne, surtout qu'apparemment il s'y passe de drôles de choses. Dimanche, un octogénaire (82 ans) s'est coincé dans une conduite d'aération de l'hôpital. Il essayait de s'évader. Il est resté bloqué dans la conduite d'aération pendant des heures. Il a fallu 20 policiers et secouristes pour le sortir de là. Les Messins sont étranges. Bon, je sens qu'il vaut mieux que j'arrête d'écrire sur Metz si je ne veux pas me brouiller avec les Messins et les Messines. Comme je me brouille avec les Bretonnes et les Bretons dès que je fais des constatations un tant soit peu objectives sur le climat breton. D'ailleurs, l'autre semaine, avant d'aller à Metz, j'étais à Rennes. Je venais tout juste de raconter au libraire qui m'accueillait que les Bretons étaient sacrément chatouilleux sur ce chapitre-là, quand un scientifique de haut vol, croisé par hasard, m'a lancé, furibard : «Arrêtez d'écrire qu'il pleut en Bretagne ! C'est complètement faux !» Un scientifique, me permets-je de rappeler. Les Rennais sont étranges.
Mais tout ça m'est complètement égal. Rien ne peut m'empêcher d'être de bonne humeur. Je viens en effet de voir (après tout le monde) un film absolument épatant, qui m'a donné une pêche d'enfer : Sugar Man. C'est un film suédois réalisé par Malik Bendjelloul, né en Suède d'un père algérien, sur un chanteur américain de Detroit né d'un père mexicain, tourné en grande partie en Afrique du Sud (où il n'est question, je le précise tout de suite, ni de Metz ni de Rennes). C'est l'histoire de Sixto Rodriguez, un chanteur folk à la Bob Dylan qui enregistre deux disques, en 1969 et en 1971. Deux flops retentissants. Du coup, il retourne à l'anonymat et à son boulot de maçon sur les chantiers, à son engagement au service des autres, dans la triste et froide ville de Detroit. Sauf que, sans qu'il en sache rien, ses chansons connaissent un incroyable succès en Afrique du Sud, les Blancs hostiles à l'apartheid s'en étant emparés pour crier leur révolte. Là-bas, il est encore plus célèbre qu'Elvis ou les Beatles. Inconnu dans son propre pays, superstar en Afrique du Sud : tel est le destin de Sixto Rodriguez. A Johannesburg, on le croit mort. On dit même qu'il s'est suicidé sur scène. Mais deux amis, un disquaire et un journaliste, veulent en avoir le cœur net. Ils mènent leur propre enquête, lancent un avis de recherche sur Internet, qui finit par tomber dans l'ordinateur d'une des trois filles de Sixto Rodriguez.
Voilà notre héros invité en Afrique du Sud, où il donne une série de concerts à guichet fermé, devant un public extatique, connaissant ses chansons par cœur. Du coup, Sixto Rodriguez commence à gagner un peu d'argent, qu'il s'empresse de donner à sa famille et à ses amis. Lui continue de vivre dans la maison déglinguée qu'il habite depuis quarante ans dans la banlieue de Detroit, souriant, intègre, inébranlable dans ses convictions. Il s'est même présenté huit fois à la mairie de Detroit, pour être la voix des laissés-pour-compte. En pure perte, bien entendu. C'est un perdant magnifique comme on les aime. Il vient chanter à Paris le 4 juin. Bien entendu, c'est complet. Mais je serai content juste de savoir qu'il sera là, en train de chanter pour nous. Il a 70 ans. Il est jeune à jamais.
Allez voir ce film, Sugar Man. Je sais, il est sorti voilà déjà des mois. Et alors ? J'en parle avec la ferveur des nouveaux convertis. Si vous n'en sortez pas gonflés d'optimisme, prêts à terrasser la crise, les imbéciles, les profiteurs et les menteurs, c'est bien simple, je ne vous connais plus.
CC Rider- Messages : 6876
Date d'inscription : 14/06/2011
Age : 104
Re: Sixto Rodriguez
J'adore le style du journaliste, plein d'humour mais qui ne se prend pas au sérieux.
Re: Sixto Rodriguez
Content qu'il y est ici un post sur Rodriguez (je l'appelle ainsi car c'est ce qu'il préfère). Je ne vais pas m'inscrire sur tous les forums qui parlent de ce personnage mais étant déjà membre ici, j'en profite !
C'est une grande fierté pour moi de m'occuper de cet artiste. Je fais la promo de la B.O. parue chez Sony Legacy le 10 décembre. Je suis totalement impliqué dans cette histoire merveilleuse. C'est une aventure inédite à ce niveau de succès. Les médias en raffolent comme vous avez pu le constater et c'est loin d'être terminé...
YM
C'est une grande fierté pour moi de m'occuper de cet artiste. Je fais la promo de la B.O. parue chez Sony Legacy le 10 décembre. Je suis totalement impliqué dans cette histoire merveilleuse. C'est une aventure inédite à ce niveau de succès. Les médias en raffolent comme vous avez pu le constater et c'est loin d'être terminé...
YM
Yazid- Messages : 120
Date d'inscription : 09/07/2011
Re: Sixto Rodriguez
C'est Yazid qui m'a fait écouter et voir le film en lisant son face book
J'avais commencé par écouter la BO qui est superbe, mais le film c'est la grande claque.
Au début, on comprend pas trop l'Afrique du Sud, le chanteur qui serait mort immolé sur scène...puis peu à peu tout s'éclaire !
Une belle histoire, un sacré bonhomme....Yazid tu as vraiment le coup pour choisir les artistes dont tu t'occupes !
J'avais commencé par écouter la BO qui est superbe, mais le film c'est la grande claque.
Au début, on comprend pas trop l'Afrique du Sud, le chanteur qui serait mort immolé sur scène...puis peu à peu tout s'éclaire !
Une belle histoire, un sacré bonhomme....Yazid tu as vraiment le coup pour choisir les artistes dont tu t'occupes !
Re: Sixto Rodriguez
4 pages dans le Télérama du 8 mai suite au voyage effectué à New York avec le journaliste François Gorin (concert au Town Hall le 10 avril).
YM
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Yazid- Messages : 120
Date d'inscription : 09/07/2011
Re: Sixto Rodriguez
On ne sort pas malgré une histoire presque trop belle et les doutes de notre époque sur l'éventuelle manipulation médiatique, de deux albums qui se sont gaufrés comme tant d'autres que nous avons tous aimés d'autres artistes obscures, la cette survie discographique à distance le fait que le gars continue de vivre simplement dans le bâtiment est au final logique attendue, il y a une grâce chez ce personnage qui est décalée et qui émeu, et puis cette musique sans être à tomber par terre est belle et moi aussi j'écoute et réécoute ces deux simples albums comme un bon pote qui me ferait découvrir un jeune groupe (tiens hors sujet comme ce matin half moon run) sauf que la bah il y a 40 ans de distance, cela donne le vertige et confiance dans le catalogue de la musique mondiale, tel Tarantino ressortant des perles pour ses films, on a envie de faire confiance au passé.
Brewster- Messages : 294
Date d'inscription : 20/06/2011
Age : 56
Album préféré : The Wild, The Innocent And The E Street Shuffle
L'article de Télérama
"Sugar Man : on peut vivre deux fois
RÉSURRECTION | Il aura fallu un film pour sortir Sixto Rodriguez de l'ombre. Musicien de Detroit ignoré dans les années 1970, le « Dylan chicano » se produit aujourd'hui dans le monde entier – dont à Paris début juin. Télérama l'a rencontré à New-York.
Le 11/05/2013 à 00h00
François Gorin - Télérama n° 3304
Ce mercredi 10 avril, on a prévu un feu d'artifice à Central Park pour célébrer l'arrivée d'un printemps tardif. Le soleil a saisi du jour au lendemain les rues de New York, et Sixto Rodriguez n'est pas le seul à porter des lunettes fumées. Une coïncidence, ce coup de chaleur ? Le nom du musicien rime assez pauvrement avec 2013, mais sa résurrection prolongée en tournée mondiale est l'affaire de l'année.
En septembre dernier, dans la foulée de la sortie américaine du documentaire Sugar Man, on refusait du monde au Highline Ballroom (quatre cents places). Sept mois et un oscar après, Rodriguez taille plus grand : entre le Beacon Theatre, dimanche 7 avril, et le Town Hall, ce mercredi 10 avril, près de cinq mille New-Yorkais auront salué le retour le plus sidérant de l'histoire du rock. Le voici dans les coulisses de la salle mythique où Bob Dylan fit ses grands débuts il y a pile cinquante ans. Sa voix presque chuchotée évoque d'assez loin le chant solaire de ses albums soul-folk des seventies. Pliant sa carcasse voûtée pour une conversation dont il goûte désormais les plaisirs avec parcimonie, Sixto le revenant, sous les habits noirs de rigueur, a l'air d'un vieux Sioux – il a du sang mexicain par son père, amérindien par sa mère. Le large bord d'un éternel chapeau mou couvre encore de mystère un visage qui a fait le tour du monde.
La première fois que Rodriguez est venu à New York, il avait 27 ans. Bien qu'ayant écumé les bars de Detroit, et pas les plus reluisants, il était encore novice. L'agent chargé de sa promotion l'avait fait venir pour rencontrer des journalistes. C'était en 1970, après la sortie de son premier album, Cold Fact (d'après lui c'était en 1969 ; sa mémoire embrumée lui joue des tours...). « Dans la musique il y a le côté business, on doit accepter des choses qui ne nous plaisent pas toujours. Faire face aussi aux critiques, au rejet, à la déception », dit-il. Rodriguez n'a jamais été du genre à se donner facilement. Quand ses futurs producteurs le pistaient au fond d'un quartier glauque, c'était pour l'apercevoir grattant sa guitare dos au public, dans la pénombre. « Ces endroits étaient exigus, et je trouvais pratique de placer le micro près du mur. Non par dédain mais par manque de confiance. J'étais plongé dans mes chansons, je ne sentais pas le besoin d'une confrontation. D'autres artistes cherchent une reconnaissance immédiate, dans mon cas ce n'était pas évident. »
Un fils d'ouvrier dans un Détroit en pleine agitation politique
Pour enregistrer Cold Fact, Rodriguez joue d'abord seul à la guitare, puis Dennis Coffey et Mike Theodore habillent les chansons, ajoutant des cuivres, des cordes ou des effets psychédéliques. Ces arrangements sophistiqués plaisent au chanteur, éduqué au blues des radios de Chicago mais aussi fan des BO de Henry Mancini (Peter Gunn, Diamants sur canapé). Autour du studio Tera Shirma vibre encore la rumeur des émeutes raciales et Detroit bouillonne d'agitation politique. Sixto, fils d'ouvriers ayant traîné ses boots à la Wayne State University, a toute crédibilité pour être un protest singer. Un seul morceau de son premier album ressort pourtant du genre (The Establishment Blues). Ailleurs il assaisonne quelques amies et réserve en ouverture sa mélodie la plus poisseuse au Sugar Man, dont les friandises sont citées sans fard : jumpers, coke, sweet Mary Jane... Chaude, claire, un peu traînante, la voix de Rodriguez se détache avec un bel aplomb sur un melting-pot musical empruntant au folk-rock ou à la soul métissée de l'époque (on est au pays du label Motown). Le rude et le suave y alternent ou se mêlent. Cold Fact est dans l'air du temps, celui où tout le monde écoutait Dylan et les Beatles.
Il n'a pourtant aucun succès, pas plus que n'en aura Coming from reality, produit par Steve Rowland à Londres et sorti en 1971. Un album plus introspectif que le premier, malgré le groove initial de Climb up on my music, mais tout aussi séduisant. Comment expliquer l'indifférence que rencontre alors Rodriguez ? Elle est aussi invraisemblable que le reste de son histoire et n'a sans doute pas de raison majeure. Pas assez de concerts, de soutien de son label (Sussex, qui fermera boutique en 1975) ? Un nom trop hispano, qu'un producteur avait modifié en Rod Riguez pour son premier single ? Mais Carlos Santana avait triomphé à Woodstock... Il n'est pas exclu que Sixto lui-même ait eu sa part dans cet échec. On ne saurait dire en tout cas qu'il se soit accroché comme un démon, car, dès 1971, il retourne étudier à l'université et va travailler sur des chantiers de construction pour vivre.
« J'étais dans une démarche assez rock'n'roll, se souvient-il. On ne souhaite pas tant s'ajuster aux lois du marché que créer soi-même son propre marché. Le music-biz des années 1960 était encore très local. » Rodriguez ne manquait pas d'ambition, mais, à l'entendre, elle était double, ou vague : il se voyait « musical political », ces deux adjectifs accolés sans ordre de préférence. « La fin des sixties a été une période riche en mutations violentes. Il y avait les manifs anti-guerre du Vietnam, la lutte pour les droits des femmes, des émeutes dans de nombreuses villes... A Detroit régnait encore General Motors, et on disait : tout ce qui est bon pour GM est bon pour l'Amérique. Moi je voyais tous les jours des brutalités policières, ça donnait envie de réagir... » Après la musique viendront les tentatives en politique. Sixto se présente deux fois à la mairie de Detroit, récolte quelques centaines de voix, et devient, en plus de ses travaux dans le bâtiment, un genre de philosophe des rues, parfois sapé comme un dandy, si l'on en croit les rares photos.
Pendant ce temps-là, en Afrique du Sud, le nom de Rodriguez a fait son chemin. Dans le film Sugar Man, Stephen Segerman, un disquaire du Cap, raconte qu'une fille a un jour rapporté des Etats-Unis un exemplaire de Cold Fact et l'a offert à son petit ami. La chose a proliféré comme de la mauvaise graine. Piratée ou diffusée légalement ? Le même Segerman indiquait, plus prosaïque, en 2008, que l'album fut pressé dès 1971 par le label Gallo Record. Dans un pays sous le régime de l'apartheid, répressif et conservateur, et où aucun groupe pop anglo-saxon ne mettait les pieds, Rodriguez est devenu un symbole de la contre-culture. Une pincée de drogue avec Sugar Man, un brin de sexe avec I wonder, et la jeunesse blanche en mal de rébellion frémissait d'excitation jusqu'à faire une vague. Beatles ou Stones ? Rodriguez ! répondaient étudiants ou surfeurs, du Cap à Johannesburg. De leur mystérieux héros, ils n'avaient qu'une image, la pochette de Cold Fact montrant un hippie métis à lunettes noires, assis en tailleur dans une boule de cristal.
Peut-être las de fantasmer sur lui, certains de ses fans sud-africains ont pu le croire mort. Les rumeurs courant sur son compte (suicide sur scène, etc.), et dont l'origine est à jamais douteuse, auraient pu être démenties dès 1979, date à laquelle un Rodriguez en pleine santé se pointait en Australie, où ses albums avaient largement circulé. Il y revint deux ans après pour quelques concerts, accompagné par Midnight Oil, dont le leader, Peter Garrett, fera ensuite une carrière politique.
L'Afrique du Sud attendra 1998, et les résultats de l'activisme conjugué de deux Sixtomaniaques : Stephen Segerman, donc, et un journaliste, Craig Bartholomew, flairant là une story hors du commun. Rodriguez débarque alors au Cap comme en Terre promise, accueilli par une foule émue. Neuf ans s'écoulent encore avant qu'on ne vienne le retrouver chez lui, à Detroit. A la porte de l'humble maison de banlieue, presque une masure, où il coule des jours paisibles, se pressent les émissaires américains d'un label de rééditions, Light in the Attic. Et un réalisateur suédois, Malik Bendjelloul.
On est en 2007. Bendjelloul a eu vent de la fabuleuse histoire de Sugar Man et fait de Bartholomew et Segerman les deux piliers d'un documentaire qui la retrace comme une enquête. Il l'appellera Searching for Sugar Man, puisque son ressort principal est la recherche de Rodriguez. Quand celui-ci apparaît en personne, aux deux tiers du film, l'effet dramatique est parfait. Le charisme du personnage fait le reste. En plus, sa musique est bonne. Pour que le chanteur disparu « ressuscite » aux yeux du monde, il aura fallu que Malik Bendjelloul vienne trois fois à Detroit, et use de persuasion. La présence de Rodriguez à l'image est évidemment la clé de son entreprise. Trois années encore lui seront nécessaires pour achever ce documentaire a priori pointu, sur un musicien dont personne n'a entendu parler.
Entre-temps, Light in the Attic a fait son boulot : Cold Fact et Coming from reality sortent en 2008, avec la rigueur dont le label est coutumier. Les amateurs sont en alerte, et tout laisse à penser que la révélation Rodriguez va demeurer une affaire de spécialistes. On pèse comparaisons et arguments : le premier album est dylanien, le second plus donovanien ; les violons précieux font penser à Love ou aux Zombies ; est-il un sosie vocal de Neil Diamond (énergie et velours à la fois), ou un Johnny Rivers qui n'aurait pas même eu son heure de gloire ? L'année suivante vient l'occasion d'aller voir si le revenant a de beaux restes. On ne se bouscule ni au Casino de Paris, ni aux Transmusicales de Rennes. Les comptes rendus des concerts ne sont pas extatiques. On a juste vérifié l'existence du mythe Sixto. Mais tout ce qui précède la sortie de Sugar Man demeure en deçà d'un phénomène. Avec le film, enfin on va voir.
On peut épiloguer sans fin sur l'habileté supposée de son distributeur et les défauts réels du documentaire : il est par endroits bricolé et joue de toutes les ficelles admises par le genre depuis Robert Flaherty et ses esquimaux. Bendjelloul choisit parmi les faits avérés ceux qui servent son scénario, et demeure évasif sur les questions délicates. Ainsi, désigner Clarence Avant, ex-patron de Sussex Records, comme le « méchant » qui se serait enrichi sur le dos de Rodriguez paraît un peu léger – même s'il est parfait dans le rôle. Que sait-on exactement des ventes de Cold Fact en Afrique du Sud, et de ce qu'elles ont légalement rapporté ? Quelque chose pourtant résiste et les zones d'ombre sont balayées comme fétu de paille par l'évidence de la « belle histoire », sa force d'empathie quasi surnaturelle. On est tout bonnement stupéfait devant le destin de Rodriguez, touché par le personnage et gratifié par ce qui lui arrive. Et vous avez entendu les chansons ?
Bouche-à-oreille aidant, le cas Sixto échappe aux branchés. L'euphorie collective gagne un public indistinct. Les récits de conversion fusent de toutes parts : Mon fils de 15 ans est fan de Rodriguez... J'ai emmené mes beaux-parents voir le film et ils ont adoré... La Sugarmania prend le courant : cette musique, c'est du vintage jamais porté. Une aubaine ! Un truc d'époque que les gens de l'époque n'ont pas eu. Les classiques inusables ont un nouveau concurrent. Programmé d'abord à La Cigale (mille places), le miraculé remplit d'avance deux Zénith, ce dont un Dylan ne serait plus capable. On ira lui rendre hommage.
Rodriguez en 2013, c'est un peu le dalaï-lama en tournée, avec le sourire du type qui a gagné au Loto pour mettre à l'abri sa famille. Côté performance, ne pas espérer de miracle. Il a 70 ans, des biceps à faire baver Johnny mais le dos cassé, le pas difficile. Sur la scène du Town Hall, sa fille Regan et sa « dame de compagnie » l'escortent jusqu'au pied de micro. Après, il se débrouille avec une voix joliment fanée, et le savoir-faire d'un groupe de mercenaires (ils changent selon les continents). Des morceaux de ses deux albums pour une moitié, l'autre par des standards (Fever, Blue Suede Shoes, Nice'n'easy...). A Paris, il promet de chanter La Vie en rose.
Cet homme est sur un nuage au parfum d'herbe et d'encens. Derrière les lunettes fumées sa vue baisse et on peut s'attendre à ce que le rideau soit tiré d'ici peu. En attendant, sa fortune augmente chaque jour et, au cas où il n'aurait pas toujours les pieds sur terre, d'autres veillent au grain. Sony Music, pour l'instant l'heureux distributeur de la BO, pousse à un album. « J'ai de nouvelles chansons, dit Rodriguez, mais rien encore d'achevé, et, pour bien faire, il me faudrait un break après la tournée, en octobre peut-être... » Il annonce fièrement qu'il va se présenter une fois de plus à la mairie de Detroit – et soudain cet objectif-là paraît plus concret que l'autre... Un prochain retour à New York est déjà prévu ; entre le Barclays Center de Brooklyn et le Radio City Music Hall, vingt-cinq mille fans de plus acclameront le héros. Parmi eux le portier de notre hôtel, qui cette fois-ci n'avait pas trouvé de place : « Vous avez vu Rodriguez ? – Wow man, Rod-reee-guez ! Je fais une reprise de lui sur YouTube ! Ce mec est un sorcier ! » Pendant ce temps, l'homme en noir, courbé sous son chapeau, a repris la route. Le soir du concert au Town Hall, un orage a éclaté. Des trombes d'eau. Mais il en a vu d'autres."
RÉSURRECTION | Il aura fallu un film pour sortir Sixto Rodriguez de l'ombre. Musicien de Detroit ignoré dans les années 1970, le « Dylan chicano » se produit aujourd'hui dans le monde entier – dont à Paris début juin. Télérama l'a rencontré à New-York.
Le 11/05/2013 à 00h00
François Gorin - Télérama n° 3304
Ce mercredi 10 avril, on a prévu un feu d'artifice à Central Park pour célébrer l'arrivée d'un printemps tardif. Le soleil a saisi du jour au lendemain les rues de New York, et Sixto Rodriguez n'est pas le seul à porter des lunettes fumées. Une coïncidence, ce coup de chaleur ? Le nom du musicien rime assez pauvrement avec 2013, mais sa résurrection prolongée en tournée mondiale est l'affaire de l'année.
En septembre dernier, dans la foulée de la sortie américaine du documentaire Sugar Man, on refusait du monde au Highline Ballroom (quatre cents places). Sept mois et un oscar après, Rodriguez taille plus grand : entre le Beacon Theatre, dimanche 7 avril, et le Town Hall, ce mercredi 10 avril, près de cinq mille New-Yorkais auront salué le retour le plus sidérant de l'histoire du rock. Le voici dans les coulisses de la salle mythique où Bob Dylan fit ses grands débuts il y a pile cinquante ans. Sa voix presque chuchotée évoque d'assez loin le chant solaire de ses albums soul-folk des seventies. Pliant sa carcasse voûtée pour une conversation dont il goûte désormais les plaisirs avec parcimonie, Sixto le revenant, sous les habits noirs de rigueur, a l'air d'un vieux Sioux – il a du sang mexicain par son père, amérindien par sa mère. Le large bord d'un éternel chapeau mou couvre encore de mystère un visage qui a fait le tour du monde.
La première fois que Rodriguez est venu à New York, il avait 27 ans. Bien qu'ayant écumé les bars de Detroit, et pas les plus reluisants, il était encore novice. L'agent chargé de sa promotion l'avait fait venir pour rencontrer des journalistes. C'était en 1970, après la sortie de son premier album, Cold Fact (d'après lui c'était en 1969 ; sa mémoire embrumée lui joue des tours...). « Dans la musique il y a le côté business, on doit accepter des choses qui ne nous plaisent pas toujours. Faire face aussi aux critiques, au rejet, à la déception », dit-il. Rodriguez n'a jamais été du genre à se donner facilement. Quand ses futurs producteurs le pistaient au fond d'un quartier glauque, c'était pour l'apercevoir grattant sa guitare dos au public, dans la pénombre. « Ces endroits étaient exigus, et je trouvais pratique de placer le micro près du mur. Non par dédain mais par manque de confiance. J'étais plongé dans mes chansons, je ne sentais pas le besoin d'une confrontation. D'autres artistes cherchent une reconnaissance immédiate, dans mon cas ce n'était pas évident. »
Un fils d'ouvrier dans un Détroit en pleine agitation politique
Pour enregistrer Cold Fact, Rodriguez joue d'abord seul à la guitare, puis Dennis Coffey et Mike Theodore habillent les chansons, ajoutant des cuivres, des cordes ou des effets psychédéliques. Ces arrangements sophistiqués plaisent au chanteur, éduqué au blues des radios de Chicago mais aussi fan des BO de Henry Mancini (Peter Gunn, Diamants sur canapé). Autour du studio Tera Shirma vibre encore la rumeur des émeutes raciales et Detroit bouillonne d'agitation politique. Sixto, fils d'ouvriers ayant traîné ses boots à la Wayne State University, a toute crédibilité pour être un protest singer. Un seul morceau de son premier album ressort pourtant du genre (The Establishment Blues). Ailleurs il assaisonne quelques amies et réserve en ouverture sa mélodie la plus poisseuse au Sugar Man, dont les friandises sont citées sans fard : jumpers, coke, sweet Mary Jane... Chaude, claire, un peu traînante, la voix de Rodriguez se détache avec un bel aplomb sur un melting-pot musical empruntant au folk-rock ou à la soul métissée de l'époque (on est au pays du label Motown). Le rude et le suave y alternent ou se mêlent. Cold Fact est dans l'air du temps, celui où tout le monde écoutait Dylan et les Beatles.
Il n'a pourtant aucun succès, pas plus que n'en aura Coming from reality, produit par Steve Rowland à Londres et sorti en 1971. Un album plus introspectif que le premier, malgré le groove initial de Climb up on my music, mais tout aussi séduisant. Comment expliquer l'indifférence que rencontre alors Rodriguez ? Elle est aussi invraisemblable que le reste de son histoire et n'a sans doute pas de raison majeure. Pas assez de concerts, de soutien de son label (Sussex, qui fermera boutique en 1975) ? Un nom trop hispano, qu'un producteur avait modifié en Rod Riguez pour son premier single ? Mais Carlos Santana avait triomphé à Woodstock... Il n'est pas exclu que Sixto lui-même ait eu sa part dans cet échec. On ne saurait dire en tout cas qu'il se soit accroché comme un démon, car, dès 1971, il retourne étudier à l'université et va travailler sur des chantiers de construction pour vivre.
« J'étais dans une démarche assez rock'n'roll, se souvient-il. On ne souhaite pas tant s'ajuster aux lois du marché que créer soi-même son propre marché. Le music-biz des années 1960 était encore très local. » Rodriguez ne manquait pas d'ambition, mais, à l'entendre, elle était double, ou vague : il se voyait « musical political », ces deux adjectifs accolés sans ordre de préférence. « La fin des sixties a été une période riche en mutations violentes. Il y avait les manifs anti-guerre du Vietnam, la lutte pour les droits des femmes, des émeutes dans de nombreuses villes... A Detroit régnait encore General Motors, et on disait : tout ce qui est bon pour GM est bon pour l'Amérique. Moi je voyais tous les jours des brutalités policières, ça donnait envie de réagir... » Après la musique viendront les tentatives en politique. Sixto se présente deux fois à la mairie de Detroit, récolte quelques centaines de voix, et devient, en plus de ses travaux dans le bâtiment, un genre de philosophe des rues, parfois sapé comme un dandy, si l'on en croit les rares photos.
Pendant ce temps-là, en Afrique du Sud, le nom de Rodriguez a fait son chemin. Dans le film Sugar Man, Stephen Segerman, un disquaire du Cap, raconte qu'une fille a un jour rapporté des Etats-Unis un exemplaire de Cold Fact et l'a offert à son petit ami. La chose a proliféré comme de la mauvaise graine. Piratée ou diffusée légalement ? Le même Segerman indiquait, plus prosaïque, en 2008, que l'album fut pressé dès 1971 par le label Gallo Record. Dans un pays sous le régime de l'apartheid, répressif et conservateur, et où aucun groupe pop anglo-saxon ne mettait les pieds, Rodriguez est devenu un symbole de la contre-culture. Une pincée de drogue avec Sugar Man, un brin de sexe avec I wonder, et la jeunesse blanche en mal de rébellion frémissait d'excitation jusqu'à faire une vague. Beatles ou Stones ? Rodriguez ! répondaient étudiants ou surfeurs, du Cap à Johannesburg. De leur mystérieux héros, ils n'avaient qu'une image, la pochette de Cold Fact montrant un hippie métis à lunettes noires, assis en tailleur dans une boule de cristal.
Peut-être las de fantasmer sur lui, certains de ses fans sud-africains ont pu le croire mort. Les rumeurs courant sur son compte (suicide sur scène, etc.), et dont l'origine est à jamais douteuse, auraient pu être démenties dès 1979, date à laquelle un Rodriguez en pleine santé se pointait en Australie, où ses albums avaient largement circulé. Il y revint deux ans après pour quelques concerts, accompagné par Midnight Oil, dont le leader, Peter Garrett, fera ensuite une carrière politique.
L'Afrique du Sud attendra 1998, et les résultats de l'activisme conjugué de deux Sixtomaniaques : Stephen Segerman, donc, et un journaliste, Craig Bartholomew, flairant là une story hors du commun. Rodriguez débarque alors au Cap comme en Terre promise, accueilli par une foule émue. Neuf ans s'écoulent encore avant qu'on ne vienne le retrouver chez lui, à Detroit. A la porte de l'humble maison de banlieue, presque une masure, où il coule des jours paisibles, se pressent les émissaires américains d'un label de rééditions, Light in the Attic. Et un réalisateur suédois, Malik Bendjelloul.
On est en 2007. Bendjelloul a eu vent de la fabuleuse histoire de Sugar Man et fait de Bartholomew et Segerman les deux piliers d'un documentaire qui la retrace comme une enquête. Il l'appellera Searching for Sugar Man, puisque son ressort principal est la recherche de Rodriguez. Quand celui-ci apparaît en personne, aux deux tiers du film, l'effet dramatique est parfait. Le charisme du personnage fait le reste. En plus, sa musique est bonne. Pour que le chanteur disparu « ressuscite » aux yeux du monde, il aura fallu que Malik Bendjelloul vienne trois fois à Detroit, et use de persuasion. La présence de Rodriguez à l'image est évidemment la clé de son entreprise. Trois années encore lui seront nécessaires pour achever ce documentaire a priori pointu, sur un musicien dont personne n'a entendu parler.
Entre-temps, Light in the Attic a fait son boulot : Cold Fact et Coming from reality sortent en 2008, avec la rigueur dont le label est coutumier. Les amateurs sont en alerte, et tout laisse à penser que la révélation Rodriguez va demeurer une affaire de spécialistes. On pèse comparaisons et arguments : le premier album est dylanien, le second plus donovanien ; les violons précieux font penser à Love ou aux Zombies ; est-il un sosie vocal de Neil Diamond (énergie et velours à la fois), ou un Johnny Rivers qui n'aurait pas même eu son heure de gloire ? L'année suivante vient l'occasion d'aller voir si le revenant a de beaux restes. On ne se bouscule ni au Casino de Paris, ni aux Transmusicales de Rennes. Les comptes rendus des concerts ne sont pas extatiques. On a juste vérifié l'existence du mythe Sixto. Mais tout ce qui précède la sortie de Sugar Man demeure en deçà d'un phénomène. Avec le film, enfin on va voir.
On peut épiloguer sans fin sur l'habileté supposée de son distributeur et les défauts réels du documentaire : il est par endroits bricolé et joue de toutes les ficelles admises par le genre depuis Robert Flaherty et ses esquimaux. Bendjelloul choisit parmi les faits avérés ceux qui servent son scénario, et demeure évasif sur les questions délicates. Ainsi, désigner Clarence Avant, ex-patron de Sussex Records, comme le « méchant » qui se serait enrichi sur le dos de Rodriguez paraît un peu léger – même s'il est parfait dans le rôle. Que sait-on exactement des ventes de Cold Fact en Afrique du Sud, et de ce qu'elles ont légalement rapporté ? Quelque chose pourtant résiste et les zones d'ombre sont balayées comme fétu de paille par l'évidence de la « belle histoire », sa force d'empathie quasi surnaturelle. On est tout bonnement stupéfait devant le destin de Rodriguez, touché par le personnage et gratifié par ce qui lui arrive. Et vous avez entendu les chansons ?
Bouche-à-oreille aidant, le cas Sixto échappe aux branchés. L'euphorie collective gagne un public indistinct. Les récits de conversion fusent de toutes parts : Mon fils de 15 ans est fan de Rodriguez... J'ai emmené mes beaux-parents voir le film et ils ont adoré... La Sugarmania prend le courant : cette musique, c'est du vintage jamais porté. Une aubaine ! Un truc d'époque que les gens de l'époque n'ont pas eu. Les classiques inusables ont un nouveau concurrent. Programmé d'abord à La Cigale (mille places), le miraculé remplit d'avance deux Zénith, ce dont un Dylan ne serait plus capable. On ira lui rendre hommage.
Rodriguez en 2013, c'est un peu le dalaï-lama en tournée, avec le sourire du type qui a gagné au Loto pour mettre à l'abri sa famille. Côté performance, ne pas espérer de miracle. Il a 70 ans, des biceps à faire baver Johnny mais le dos cassé, le pas difficile. Sur la scène du Town Hall, sa fille Regan et sa « dame de compagnie » l'escortent jusqu'au pied de micro. Après, il se débrouille avec une voix joliment fanée, et le savoir-faire d'un groupe de mercenaires (ils changent selon les continents). Des morceaux de ses deux albums pour une moitié, l'autre par des standards (Fever, Blue Suede Shoes, Nice'n'easy...). A Paris, il promet de chanter La Vie en rose.
Cet homme est sur un nuage au parfum d'herbe et d'encens. Derrière les lunettes fumées sa vue baisse et on peut s'attendre à ce que le rideau soit tiré d'ici peu. En attendant, sa fortune augmente chaque jour et, au cas où il n'aurait pas toujours les pieds sur terre, d'autres veillent au grain. Sony Music, pour l'instant l'heureux distributeur de la BO, pousse à un album. « J'ai de nouvelles chansons, dit Rodriguez, mais rien encore d'achevé, et, pour bien faire, il me faudrait un break après la tournée, en octobre peut-être... » Il annonce fièrement qu'il va se présenter une fois de plus à la mairie de Detroit – et soudain cet objectif-là paraît plus concret que l'autre... Un prochain retour à New York est déjà prévu ; entre le Barclays Center de Brooklyn et le Radio City Music Hall, vingt-cinq mille fans de plus acclameront le héros. Parmi eux le portier de notre hôtel, qui cette fois-ci n'avait pas trouvé de place : « Vous avez vu Rodriguez ? – Wow man, Rod-reee-guez ! Je fais une reprise de lui sur YouTube ! Ce mec est un sorcier ! » Pendant ce temps, l'homme en noir, courbé sous son chapeau, a repris la route. Le soir du concert au Town Hall, un orage a éclaté. Des trombes d'eau. Mais il en a vu d'autres."
Invité- Invité
Re: Sixto Rodriguez
Lu sur la lettre d'info du Bikini, salle toulousaine....
Communiqué officiel du management de l’artiste :
Dans le but de préserver sa santé suite à plusieurs mois de tournée, Rodriguez a dû prendre la difficile décision d’annuler la première semaine de sa tournée européenne, il ne pourra donc pas jouer au Weekend des Curiosités à Toulouse le 26 Mai.
4 concerts ont dû être annulés : Toulouse, le Primavera de Porto, le Primavera de Barcelone et le concert d’Amsterdam.
L’Association des Curiosités invite les spectateurs du dimanche à assister gratuitement à une deuxième soirée sur le Port*.
Communiqué officiel du management de l’artiste :
Dans le but de préserver sa santé suite à plusieurs mois de tournée, Rodriguez a dû prendre la difficile décision d’annuler la première semaine de sa tournée européenne, il ne pourra donc pas jouer au Weekend des Curiosités à Toulouse le 26 Mai.
4 concerts ont dû être annulés : Toulouse, le Primavera de Porto, le Primavera de Barcelone et le concert d’Amsterdam.
L’Association des Curiosités invite les spectateurs du dimanche à assister gratuitement à une deuxième soirée sur le Port*.
labrespy- Messages : 742
Date d'inscription : 15/06/2011
Re: Sixto Rodriguez
Apparemment ça ne s'est pas super bien passé hier et avant-hier au Zénith :
http://www.lefigaro.fr/musique/2013/06/05/03006-20130605ARTFIG00399-sixto-rodriguez-au-zenith-c-est-comme-nabilla-sur-canal.php
http://www.bfmtv.com/video/bfmtv/divertissement/salle-comble-chanteur-sixto-rodriguez-zenith-paris-05-06-129556/
http://www.sudouest.fr/2013/06/04/rodriguez-sugar-man-acclame-au-zenith-de-paris-1074281-4691.php
Perso je me demandais s'il avait encore aujourd'hui la voix qu'il a sur ses deux albums, et surtout ce son, j'ai ma réponse... dommage.
http://www.lefigaro.fr/musique/2013/06/05/03006-20130605ARTFIG00399-sixto-rodriguez-au-zenith-c-est-comme-nabilla-sur-canal.php
http://www.bfmtv.com/video/bfmtv/divertissement/salle-comble-chanteur-sixto-rodriguez-zenith-paris-05-06-129556/
http://www.sudouest.fr/2013/06/04/rodriguez-sugar-man-acclame-au-zenith-de-paris-1074281-4691.php
Perso je me demandais s'il avait encore aujourd'hui la voix qu'il a sur ses deux albums, et surtout ce son, j'ai ma réponse... dommage.
JC- Messages : 2933
Date d'inscription : 14/06/2011
Age : 51
Localisation : Quelquepart entre Woodstock, Asbury Park, Haight Ashbury, Detroit, Muscle Shoals & Memphis...
Album préféré : The Wild, The Innocent And The E Street Shuffle
Re: Sixto Rodriguez
A vrai dire ça le deuxième Zénith était moins laborieux mais c'était super à la Cigale.JC a écrit:Apparemment ça ne s'est pas super bien passé hier et avant-hier au Zénith :
Je vous laisse apprécier le compte-rendu du Figaro :
http://www.lefigaro.fr/musique/2013/06/06/03006-20130606ARTFIG00388-les-pleins-et-les-delies-de-sixto-rodriguez-a-la-cigale.php
YM
Yazid- Messages : 120
Date d'inscription : 09/07/2011
Re: Sixto Rodriguez
Yazid,
puisque tu m'as l'air de bien suivre le bonhomme, est-ce que tu as des tuyaux quant à une possible sortie de 3e album avec de nouveaux titres ou de titres plus anciens jamais sortis ?
Depuis novembre 2012, où j'ai découvert Cold Fact, puis un peu après Coming from reality, puis encore après le film, je suis accro, donc si tu as des infos allant dans ce sens, je suis archi preneur.
Merci d'avance.
puisque tu m'as l'air de bien suivre le bonhomme, est-ce que tu as des tuyaux quant à une possible sortie de 3e album avec de nouveaux titres ou de titres plus anciens jamais sortis ?
Depuis novembre 2012, où j'ai découvert Cold Fact, puis un peu après Coming from reality, puis encore après le film, je suis accro, donc si tu as des infos allant dans ce sens, je suis archi preneur.
Merci d'avance.
lost in the flood- Messages : 175
Date d'inscription : 22/06/2011
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